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  • QUELQUES COIFFES


    Dernière coiffe bigoudène brodée
    par Bernardine MAZO en 2002


    coiffe bigoudène vers 1850-1860

    coiffe bigoudène de cérémonie vers1900


    coiffe bigoudène de deuil "lienn melenn" sans lacets appelée "dilasenn"

     

    coiffe borledenn vras-vian de Landudec

    coiffe borledenn vras

    Coiffe penn sardin vers 1860-1870

     

    Coiffes en Deuil

    Par Michel Bolzer

     

    Dans le passé, le deuil a revêtu une importance considérable : espérance de vie très courte, décès nombreux en bas âge dans des familles très grandes.

    Je prendrai l'exemple de mes arrière-grands-parents, Marie Anne Gentric, née en 1820, épouse en 1838 de Christophe Bolzer, né en 1814. Jusqu'en 1865, elle donne naissance à dix sept enfants, dont deux mort-nés. Dans la famille, on a toujours parlé de vingt et un, ce qui implique qu'au moins quatre maternités n'aient pas abouti. Sur cette nombreuse progéniture, des décès à quelques jours, quelques semaines et plusieurs avant l'âge de dix ans. Seuls sept atteignent l'âge adulte : Marie Jeanne est déjà décédée en 1880, jeune maman, à moins de trente ans ; René et Alain, les deux fils prêtres, meurent en 1886 et 1888, à vingt huit et trente ans. Quatre seulement auront une vie assez longue : Perrine jusqu'en 1922, Christophe dans les années trente, ainsi que Catherine et Guillaume, mon grand-père jusqu'en 1945. Marie Anne aura été en deuil pratiquement toute sa vie puisque disparue vers 1900, elle aura survécu à son mari (après 1880) et à la plupart de ses enfants sauf quatre.

     

    Au musée des Beaux-Arts de Quimper existe une sculpture en plâtre de Quillivic, représentant une grand-mère, probablement de Plozevet, puisque coiffée d'une « bigoudenn dilasenn (sans lacets) », conformément à la mode locale jusqu'à la fin du XIXème siècle, et, à ses cotés, une fillette en coiffe moderne avec des lacets. Je verrais très bien dans ces deux personnages mon arrière-grand-mère en compagnie de tante Gèit, née en 1889, et que j'ai en photo, habillée comme sur cette sculpture.

     

    Marie Anne portait sûrement à cette époque une coiffe de toile jaune safran (koeff lienn melenn), signe distinctif du deuil en Pays Bigouden. Eh oui! Le jaune était la couleur du deuil (ce jaune variant d'un orange foncé (parfois délavé), au jaune citron)

    Les femmes, globalement jusqu'à la guerre 1914-1918, portaient la coiffe tous les jours. Cette coiffe quotidienne était en général la jaune, c'est-à-dire la coiffe sobre, puisqu'en toile solide, elle résistait à la pluie et aux intempéries. Jusqu'en 1900, elle était si petite qu'il n'était pas nécessaire de l'apprêter. Elle se portait même un peu écrasée, avec ou sans lacets, suivants les endroits et l'époque.

     

    Du temps où la coiffe de deuil était jaune, lors du décès du mari, la veuve achetait coiffe, dalet (partie arrière) et lacets en percale à dents. Le tout était porté tel quel, sans apprêt, les lacets un peu écrus. J'ai le même témoignage pour Plougastel-Daoulas, autre lieu aux traditions aussi marquées qu'au Pays Bigouden.

     

    Lorsqu'elle avait été portée un certain nombre de fois pour les dimanches et jours de fête, il était temps de la rafraîchir. Elle n'était pas lavée à l'eau comme une coiffe blanche. Ma mère m'a indiqué la façon de procéder, qu'elle a vu pratiquer dans son enfance par quelques femmes âgées. Trempée dans du « lez mesk (lait ribot), il fallait veiller à ce que les chiens ne soient pas attirés par cette nourriture providentielle. De Landudec à Penmarc'h, j'ai eu le même son de cloche d'un chien qui avait avalé les précieuses pièces. On raconte dans la famille qu'une voisine à qui cette aventure était arrivée à Guerlosquet, avait attaché le chien le temps qu'il « rende » ce qu'il avait volé !!

    Cette coiffe une fois lavée, il fallait la remettre en état. Une blanche est amidonnée et repassée. Ici, autre processus. On amidonne un morceau de papier roux épais, genre papier Kraft, ou un carton fin, que l'on colle au fer à l'intérieur. De ce fait, la broderie, non écrasée, garde un bel aspect soyeux.

     

    Lorsqu'elle n'est plus présentable pour les sorties, on la met tous les jours et l'achat d'une coiffe neuve s'avère nécessaire. On retrouve énormément aujourd'hui dans les armoires des coiffes déteintes. C'est justement qu'elles ont été portées très souvent et qu'elles sont délavées.

     

    I.L.de Penmarc'h, qui porte encore la coiffe tous les jours en 2008, me disait récemment que sa grand-mère, à la fin de sa vie, n'avait que trois coiffes jaunes : une belle pour les grandes occasions (pardons, mariages, etc…), une propre pour dimanches et enterrements, et une pour tous les jours. Même cette dernière était en bon état. Il est vrai qu'elle n'avait plus beaucoup d'occasions de se salir. Pour la rafraîchir, elle utilisait de la mie de pain, même procédé que pour les « koeffou bleo neud (bonnets sous coiffes brodés) » et les gilets de fil.

     

    Ces coiffes jaunes ont cessé d'être portées habituellement par les jeunes filles au début du xxème siècle. Peut-être avec l'apparition du peigne courbe qui a fait redresser la coiffe vers 1905. Il est vrai que, mise de cette façon, elle devait être plus rigide pour tenir debout.

     

    La guerre de 1914/1918 les a malheureusement remises à la mode. Une dame me racontait, il y a peu, un évènement vécu par sa tante. : Depuis la désaffection du pardon de Saint Jacques, à Lambourg, en Pont l'Abbé, les gens avaient pris l'habitude de fréquenter Saint Jacques en Tréffiagat. Une jeune Pont l'abbiste, d'à peine vingt ans suivait la procession, toute de noir vêtue, coiffée d'une stricte coiffe jaune et elle portait un bébé de quelques mois, également tout en noir, bonnet compris. Cette tante, témoin de la scène en était toute bouleversée. La grand-mère de ma femme, veuve dans les mêmes circonstances, a pourtant bien vécu son veuvage en coiffe blanche. Sa mère par contre a mis la coiffe jaune et ne l'a plus quittée jusqu'à son décès, sauf une fois ou deux où elle s'est remise à la blanche pour aller voir son fils, gendarme en Normandie.

     

    Dans le haut du canton de Plogastel, l'habitude de ces coiffures s'est perdue bien plus tôt que dans le reste du pays. B.M, née en 1915 à Plozevet, n'avait jamais vu ses grand-mères attifées de la sorte alors que dans le sud cela a duré jusqu'aux années 1950-1960. Une dame de Penmarc'h a porté cette tenue jusqu'en 1970. Je l'ai vue en photo chez sa petite fille. Aux gens qui me diront ne l'avoir jamais vue, je dirai qu'elle ne devait plus beaucoup sortir, ou alors seulement en « bouloutenn (bonnet de velours) »

     

    A Penmarc'h toujours, la tempête du 23 Mai 1925 a vu mourir beaucoup de marins. Lors de cet évènement tragique, quantité de femmes ont remis la coiffe jaune. Une mercière du bourg, jeune à l'époque, m'a confié en avoir vendu beaucoup. Les communiantes de l'année dont le père était décédé dans ces naufrages ont été coiffées de jaune. Quelques rares personnes s'en souviennent encore aujourd'hui. A Landudec, M.J.K, née vers 1900, a perdu sa mère en 1922. Sa grand-mère l'a forcée à mettre une « koeff lienn melenn ». Idem pour F.P. née en 1913, et la même année. « Tu te rends compte, une coiffe jaune pour enterrer ma mère, me disait-elle vers 1970, et je n'avais que neuf ans ! »

     

    Hors du Pays Bigouden, j'ai le témoignage de M.L. de Trégunc, née en 1900. Elle se souvenait avoir porté des coiffes jaunes dans son enfance. A Plogonnec existe encore une coiffe jaune des années 1860-1870. La fermière qui en ignorait la signification se demandait ce que faisait ce « tamm pilhou (morceau de chiffon) » dans le lot de coiffes eut l'étonnement d'apprendre ce que c'était. Comme pour celles des autres terroirs, je pense, seul le tissu est de cette couleur jaune. Tout le reste est blanc : fil de couture, lacets, broderies ou décor s'il y en a, dalet, sous coiffe.

     

    Scrutez attentivement le tableau de Breton « le pardon de Kergoat », au musée des Beaux-Arts de Quimper, et vous apercevrez un certain nombre de taches jaune-citron. Peint à la fin du XIXème siècle, l'ébauche a certainement été croquée plus tôt puisque les coiffes représentées sont des années 1860.

     

    M.D de Saint-Thois, au pays de Châteauneuf, née vers 1900-1905, se souvenait avoir entendu sa mère dire qu'elle avait porté des coiffes jaunes dans sa jeunesse. Si ça s'est fait à Saint-Thois, pourquoi pas dans tout le pays de Châteauneuf-Carhaix-Huelgoat, où se portent les mêmes types de coiffes. Et pourquoi pas dans les régions de Châteaulin-Daoulas, qui sont aussi de la même famille. Si ça se trouve donc, c'est tout le pays de Cornouaille pour qui le jaune était la couleur du deuil. Il est vrai aussi que des coiffes noires existaient en même temps.

     

    LES VETEMENTS DE DEUIL

     

    Si la coiffure était jaune, le reste de la tenue était immanquablement noir. Les tissus sont les mêmes : drap de Montauban (Tarn et Garonne) à l'origine, velours ensuite pour gilets et jupes. Le tablier de coton noir était remplacé par des moires ou tissus damassés, lors des grandes fêtes, pour celles qui le pouvaient.

     

    Le vêtement qui a le plus marqué des générations de femmes est la cape de deuil, le « mantélé ». Il faisait partie du trousseau de la mariée. Ce fut le cas pour ma mère en 1927. Il est vrai qu'il était obligatoire pour les relevailles, mais c'est un autre sujet. D'où vient ce mot ? Evidemment ici on ne le connaît qu'en breton, bien qu'utilisé de la même manière depuis que les gens s'expriment en français. Est-ce le « mantelet » ou viendrait-il du breton « mantell ledan », manteau large ? Cette cape est composée de deux éléments : une ample mante qui recouvre tout le costume et une large capuche. La capuche est ornementée d'une bande de velours, très étroite en 1900 et qui s'élargit progressivement pour recouvrir la totalité vers 1930. En drap grossier au XIXème siècle « mezer », la cape s'allège. Encore très lourde vers la guerre, mais en beau drap tout de même, elle devient plus légère dès les années 1920 et flotte presque au vent vers 1930. Une belle boucle, en argent disent certains, je dirais plutôt en métal argenté, très légère, sert de fermoir. Parfois, à l'intérieur, un petit morceau d'étoffe, cousu en bordure des deux cotés permet de donner une certaine contenance aux mains et empêche qu'elle ne s'ouvre au vent.

    Le port du « mantélé » permet à la personne de masquer sa douleur malgré la présence d'une foule considérable. L'ampleur de la capuche cache complètement la coiffe ainsi que le visage. La femme ainsi ne voit que le sol devant elle. De toute façon, elle est guidée pour se rendre à l'église et au cimetière. Pour le Pays Bigouden, la coiffe qui s'agrandit au fil des décennies ne peut plus finalement être cachée à la vue. Tous les bigoudens d'un certain âge se souviennent de cette myriade de femmes ainsi drapées lors d'un enterrement : les veuves, les mères, les grand-mères, les filles, les sœurs, les tantes, les cousines, et ce jusqu'aux années 1960-1970. Mon père est décédé en juin 1970. Ma mère avait voulu se vêtir de son « mantélé » alors que bien des personnes ne s'en servaient plus. Elle l'a mis pour le jour des obsèques et au service de huitaine. Pour le service anniversaire, elle ne l'a plus mis.

     

    De même, l'emploi des lacets de percale à dents se raréfiait. Ils ne devaient plus se fabriquer puisque l'usage disparaissait. Elle en a encore trouvé un morceau à la mercerie, le dernier qui restait et juste assez pour se faire une paire de lacets. Ces lacets, elle ne les a portés qu'un mois. Comme elle mettait la coiffe tous les jours, c'était gênant. Assez vite des lacets en organdi uni les ont remplacés. Par contre, Aline K. dont le mari est parti en même temps a porté ces mêmes lacets en percale pendant un an.

     

    Après la guerre 1914-1918, la coiffe utilisée pour l'enterrement était la coiffe classique blanche, prête dans l'armoire, pour le cas où ! Et effectivement mon père s'en est allé rapidement sans qu'on s'y attende. Par contre, le temps du deuil, pour les cérémonies, ma mère a utilisé une coiffe commandée à BM de Lababan, réalisée rapidement, et plus moderne dans sa conception, avec deux belles guirlandes verticales, chose qu'elle n'aurait jamais fait quelque temps plus tôt.

     

    LES RITES DE LA MORT

     

    Sitôt un décès, on délègue quelques amis et voisins pour porter la nouvelle, « Kas kelou ar maro » dans la commune et les villages voisins où vivent parents et amis. Cela se faisait en vélo autrefois, en voiture aussi un peu, mais lorsque l'automobile s'est démocratisée, le téléphone aussi est apparu chez les particuliers.

     

    Au dessus de la porte d'entrée, on suspendait un mouchoir blanc sur lequel on plaçait une croix faite de deux bandes de velours étroit. Au décès de mon père, je l'ai encore fait bien que la coutume ait disparu. Nous tenions un restaurant, ce qui a évité aux gens de passage de commettre un impair.

     

    Puis tout le monde se fait un devoir de venir faire une visite. Dans nos campagnes, tout le monde se connaissait. Au visiteur La cuisine ne désemplit pas. Il convient d'offrir quelque chose. Après quoi il met un « service et messe » pour le repos de l'âme. Tous ces services seront lus à l'église : cent, deux cents ou plus.. Et gare au prêtre s'il oublie de citer votre nom. Il se l'entendra reprocher. Pensez donc, tous penseront que vous ne l'avez pas mis.

     

    Le soir, veille des obsèques, un prêtre vient faire des prières, où le plus grand nombre se doit d'assister. Et on s'habille entre dimanche et tous les jours. Je n'ai jamais vu ma mère aller voir un mort sans sa coiffe. Plus tard, c'est la veillée mortuaire qui dure toute la nuit. Au début, c'est le grand silence. Même à la cuisine, à coté, on chuchote. De temps en temps, on vous invite à prendre un café, un verre de vin ou de lambig dans la pièce voisine, pour tenir le coup. Petit à petit, de ce fait, les esprits s'échauffent. Parfois, au lieu d'une prière que l'un ou l'autre lance, et à laquelle tout le monde prend part, ce sont les langues qui se délient sous l'effet de l'alcool. Et l'on a vu se dérouler des scènes assez burlesques ; parfois certaines vérités dites enflammaient l'assistance.

     

    Le matin suivant, chacun se tient prêt très tôt. La mise en bière aura lieu après que pratiquement tous ceux qui assistent aux obsèques soient venus faire une autre visite au défunt paré de ses plus beaux atours : on part pour le grand voyage. Un homme jeune, ou une jeune femme (beaucoup d'entre elles mouraient en couches), portent leur costume de marié. Le chapeau de l'homme était parfois posé à coté de lui, mais pas habituellement. Par contre, une femme est toujours coiffée. Il se trouve en général dans le quartier une personne experte pour savoir mettre la coiffe dans ce cas. Elle est devenue si haute au fil du temps ! Pas question de faire un cercueil à ses dimensions (Cela s'est vu, mais rarement). Alors d'un coup de main, on l'écrase pour la faire revenir sur le visage. Je ne l'ai vu faire qu'une seule fois alors qu'étant enfant de chœur, j'accompagnais le prêtre pour la levée du corps. Ca m'a fait l'effet d'une gifle à la pauvre Mélanie que je connaissais bien. Les gens étaient-ils choqués ? je n'en sais rien, ça se faisait. Il aurait été plus convenable, à mon idée, de tirer la coiffe et de la mettre à coté.

     

    Jusqu'à un passé récent, tant que la voiture n'a pas envahi les campagnes, la route vers le bourg se faisait à pied. Du temps ou seuls les garennes et les chemins creux, existaient, il fallait emprunter les talus larges et conçus à cet effet lorsque la pluie rendait impraticables les sentiers. On y grimpait par des échaliers, deux ou trois pierres placées en quinconce. Dès après la guerre de 1939-1945, peut-être même un peu avant, des cars transportaient les gens.

    Ma grand-mère, décédée en 1951, a quitté la maison dans le char à bancs familial. On m'a proposé de prendre le car avec les grand-tantes, j'ai préféré parcourir les trois kilomètres à pied, juste derrière elle. La famille, très nombreuse, suivait.

     

    10h30 à l'église. Devant l'autel, les places sont réservées, les hommes à droite, les femmes à gauche.(lors des messes dominicales, les hommes occupent le haut de la nef et les bas cotés. Les femmes sont reléguées au fond). Durant la cérémonie, la famille se tient debout. Des pleureuses officiaient dans certains pays. Je me souviens, toujours à l'époque où j'étais enfant de chœur, avoir entendu pendant tout l'office les gémissements bruyants de certaines femmes.

     

    Au cimetière, où tous se rendent, une fois la dernière prière récitée, les hommes de la famille se placent en rang pour recevoir les condoléances. Enfin on quitte les lieux. Les femmes les plus proches gardent le « mantélé » sur le dos, les autres le plient délicatement sur le bras. Un repas, « lein enteramant » ou « lein zelvij » s'il s'agit du service de huitaine ou anniversaire attend une assistance assez nombreuse, souvent chez un cabaretier. Le dimanche suivant, un service de huitaine « selvij eisté », a lieu à l'église qui est souvent comble. Le catafalque « ar vaz kaonv » est remis en bonne place au milieu de la nef. Il y reste pendant la messe qui suit. Tous les participants à l'office viennent y faire un signe de croix avec le goupillon, avant de rejoindre leur place.

     

    Avec une de mes sœurs, nous sommes allés dans le village voisin représenter la famille pour le service d'un cousin de mon père. Nous étions bien jeunes, 14-15 ans. Ce que nous ne savions pas, c'est que les services avaient lieu plus tôt que chez nous. Lorsque nous entrons dans l'église, la messe avait commencé. Qu'à cela ne tienne ! Nous sommes quand même allés tracer le signe de croix sur le catafalque. Ainsi toute la famille a su que nous étions passés.

     

    Pendant un an, un service mensuel « selvij ar miz » réunira encore la famille. Enfin, au bout d'un an, le service anniversaire « selvij ar bloaz » vient clore l'accompagnement du défunt. Chaque fois, les femmes de la famille revêtiront le « mantélé », y compris aux vêpres de la Toussaint , l'après-midi, pour toutes celles ayant perdu quelqu'un dans l'année.

     

    ATTITUDE DES GENS DEVANT LA MORT

     

    Sorti des visites rituelles, on évitait le contact avec la famille du mort. Il fallait la laisser à sa douleur. Il est vrai que dans le passé, en général, les gens n'exprimaient pas leurs sentiments. On ne s'embrassait pas. Je n'ai jamais vu mes parents le faire. Ma mère a embrassé mon père juste avant de le voir disparaître dans le cercueil.

     

    La sobriété était donc la règle. Le noir nous l'avons déjà dit est l'apanage des gens en deuil. Les coiffes sont en tissu uni ou étoffe noire suivant les régions. Au Pays Bigouden pourtant, ces habitudes ne sont pas respectées. Les documents du XIXème siècle en matière de coiffes sont relativement rares. Vers la fin, les coiffes blanches se trouvent assez facilement, les jaunes aussi, on en récupère de temps en temps. Pour 1850, et avant à plus forte raison, elles sont très peu à être parvenues jusqu'à nous. Si quelqu'un possède des coiffes très anciennes, pourquoi ne pas en faire profiter tout le monde en permettant d'en faire des photos, cela en toute discrétion ?

     

    Avec la vallée de Bethmale, dans les Pyrénées, où le deuil se porte en vert muni de broderies, le Pays Bigouden et sans doute le seul en France à avoir des coiffes toujours brodées. Chez nous la broderie est devenue une institution, surtout au XXème siècle. Pourquoi les Bigoudens se sont –ils distingués de leurs voisins ? Nul ne le sait mais c'est un fait. Les motifs et leur disposition sur la coiffe sont différents de ceux des autres. Elles ne sont pas ajourées, mais en tissu plein. On y trouve principalement des fougères, symbole de la prospérité (le paradis est la vie qui commence), des cercles concentriques (la vie en plénitude), des cornes de bélier (la force). La disposition est toujours la même : jusqu'à le guerre de 1914, la base est marquée par un point spécifique du deuil, surmonté d'une broderie de cercles concentriques et feuilles de fougères, puis une séparation par une chaîne de vie surmonté d'un motif central entouré de quatre motifs secondaires répétés. Après 1914, comme la coiffe grandit, la broderie de base est élargie et diversifiée, le reste demeurant sans changement, sauf répétition de motifs pour remplissage.

     

    Bien sûr, le jour de l'enterrement, pas de fantaisie, mais la jeune fille ou le jeune homme participent-ils, quelque temps après, à un mariage ou au pardon de Penhors ou de la Tréminou , ils parviendront toujours à tricher. Le gilet de la femme ou de l'homme comprend deux plastrons qui se superposent. Pour les grandes occasions, et pour ceux qui peuvent se le permettre, il y a un côté plus riche, plus décoré. Parfois un seul est brodé, le deuxième est en drap avec parement de velours. Dans le cas qui nous concerne, le côté le plus sobre, ou noir, sera arboré, l'autre plastron disparaîtra ou se laissera seulement deviner. Une photo datant des 1920 me permet de l'affirmer : le seul homme encore en costume bigouden le fait voir. Le geste est-il volontaire pour montrer qu'il a un plastron décoré sous le paletot ? Ou bien négligemment, de la façon dont il a posé la main, laisse t-il apercevoir un peu de broderie ? Toujours est-il que ça se voit.

     

    J'ai entendu plusieurs fois dans mes jeunes années, des personnes âgées parler de « eun abi neud ver », un habit de fil vert. Vert se dit « gwer » en breton. Avec la mutation, le g est supprimé. Entre le vert et le jaune, la frontière est vraiment réduite.

    Dans ma propre famille, le gilet de marié de mon grand-père est d'un vert jaune. Mes grands-parents se sont mariés en 1888. Je pense que ce costume est celui de son frère aîné, marié vers 1860. Les motifs font penser à cette époque. Lors du mariage de 1888, le père est déjà décédé, la mère est âgée, les deuils se succèdent, en particulier un frère quelques mois avant. Je pense que personne n'a eu le courage d'en faire broder un neuf et le même a servi aux deux frères à vingt huit ans d'intervalle.

    Un autre témoignage entendu de S.C. du Guilvinec est dans le même esprit. Une jeune fille se marie juste après la guerre 1914-1918. Elle voulait un gilet de fil rouge. « Non lui dit sa mère, tu en auras un jaune. Tu sais bien, tu sors du deuil pour ton frère ».

     

    Puisque j'en suis au chapitre des mariages, le lendemain de la noce, un service funèbre pour les défunts de la famille était célébré pour les associer quelque part à la cérémonie. Tout le monde se rendait à l'église en habit de deuil. Ensuite on rentrait chez soi remettre coiffes et costumes du second jour pour continuer la fête. J'ai connu ces offices du second jour, par contre les détails vestimentaires m'échappent. Dans mes souvenirs d'enfant, l'assistance était assez restreinte. Seuls les très proches y allaient. Cette tradition se perdait et n'était probablement suivie que par les familles les plus religieuses.

     

    Dès les années 1930, on se permet des fantaisies. Une jeune fille en grand deuil fera broder des lacets de percale en blanc, mais aussi en noir. Les témoignages en photo sont fréquents.

    Les hommes pour lors ont cessé de porter le gilet traditionnel, du moins les jeunes. Pour les filles, le gilet de fil n'a plus trop la cote. On préférera le costume de velours et, dans le haut du pays surtout, crêpes et satins abondent. Les perles noires permettront de se montrer sous ses plus beaux jours malgré l'état dans lequel on se trouve.

     

    Après la guerre de 1939-1945, on en vient de plus en plus à la mode de la ville, en commençant par les plus jeunes. Les rites restent quasiment immuables jusqu'aux années 1960 et ne sont plus actuellement respectés. Sitôt après un décès, une bigoudène pourra porter une coiffe, certes pleine, non ajourée, mais aux motifs plus sophistiqués. Les lacets qui l'accompagneront seront aussi dans l'esprit, mais somptueux tout de même. Plusieurs d'entre elles, même pour le décès d'un proche, porteront des coiffes et lacets ajourés. Ce fut le cas de ma mère dans les années 1993-1994. «  Mes sœurs qui sont à la mode de la ville ne sont pas en noir, pourquoi mettrais-je une coiffe de deuil ? »

     

     

    Remerciements à Michel et à Christian Bolzer pour le texte « Coiffes en deuil ». Remerciements également à Mr Pellan , président du cercle généalogique du Finistère pour son autorisation à la parution du texte. « Les coiffes en Deuil, se trouvent également sur la revue « Le Lien » N° 107 du centre généalogique du Finistère. (CGF)

     

     

    Michel Bolzer et Mr Charlot, ont fait une conférence à Landudec, le 6 Avril 2008. (Voir rubrique « Photos »).

     



    Article du journal LE TELEGRAMME (août 2007) sur Michel BOLZER, originaire de LANDUDEC : repasseur de coiffes .

    Le fer à la main, portant chapeau et costume breton, celui des paysans de Landudec d'où il est originaire, Michel BOLZER est de toute les fêtes. Repasseur de coiffes depuis près de 45 ans, le Bigouden perpétue la tradition d'un métier autrefois exclusivement féminin.

    "Ca ne s'explique pas, c'est inné.". Sur la table de la cuisine, son lieu de travail, rien ne manque : les coiffes, le fer ancien, pas à vapeur, le drap et le bol d'amidon. Tous les jours, par plaisir, mais également pour le besoin des cercles bigoudens ou de ses animations, le Bigouden Michel BOLZER repasse ses coiffes. Le geste est sûr, la technique bien maîtrisée. Il est vrai que l'homme a derrière lui près de 15 années de pratique. "J'ai commencé à repasser alors que j'avais une vingtaine d'années" explique t-il. Par la force des choses. Car Michel BOLZER est avant tout collectionneur de coiffes.

    Des coiffes dans l'armoire :
    "Je possède près de 90 sortes de coiffes, de toutes les régions", certes les coiffes bigoudènes figurent en bonne place mais sa collection comprend également des coiffes du pays de Quimper, de Douarnenez, de l'Aven, de l'est de la Bretagne et même d'Auvergne, de Vendée ...
    "On a l'impression que la coiffe est bretonne, mais il n'y en avait pas qu'en Bretagne", explique le Bigouden. "Ailleurs, elles ont disparu plus tôt, vers le début de l'ère industrielle". Une passion qui le prend alors qu'il découvre un paquet de coiffes de sa mère rangé dans une armoire. "Des coiffes bigoudènes. Ma mère a porté la coiffe jusqu'à ses 91 ans, tous les jours".

    "L'oeil pétillant de bonheur, Michel BOLZER se souvient des réactions lorsqu'il s'est mis au fer. "Y'a pas idée, c'est un métier de femmes" . Il est vrai q"un homme qui repasse, cela ne s'était jamais vu dans le Pays Bigouden. Autrefois, chaque village avait sa repasseuse. Puis, le métier s'est perdu. A Landudec, dans le village qui l'a vu naître en 1943, il n'y en avait plus depuis 1965. La dernière c'était Marie-Anne Quéré. Quant à la dernière repasseuse bigoudène, Bernardine Mazo, elle est décédée à Lababan, en Pouldreuzic, il y a trois ans. Une repasseuse auprès de laquelle Michel Bolzer a appris le métier. Il y a eu aussi Joséphine Cossec, de Saint Jean Trolimon. Elle m'a donné des conseils.

    La recette : réussir l'amidon :
    "Le plus dur, c'est réussir l'amidon. Il faut respecter les doses. C'est comme la pâte à crêpes!". Après, la technique est spécifique en fonction des coiffes. "Il faut avoir le tour de main". Et ce tour de main, Michel BOLZER l'a attrapé au fils du temps, à force de regarder les Joséphine et autre Bernardine faire. "Pour la coiffe bigoudène, la difficulté, c'est de faire l'arrondi du haut". Tout un art dont Michel BOLZER est aujourd'hui le dépositaire. Un savoir-faire qui pourrait disparaître. Michel BOLZER n'a pas fait d'émule. Alors il continue à repasser, "pour ne pas que la technique se perde", tout en espérant susciter les vocations.